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Avatar de Regis Maag

Je pense que l'une des réponses attendues, sinon nécessaires, consiste à retrouver l'idée que l'Etat n'est pas une personne mais une structure juridique produite par l'homme, faite de droits, et que seule une personne peut avoir, à proprement parler, des devoirs.

Ce qui rejoint votre thèse : l'entité transcendante de l'Etat ne saurait jamais être quiconque ou quoi que ce soit d'autre que le sujet libre et responsable. L'Etat ne peut rien devoir à quiconque, pour la bonne raison qu'il n'est pas doué d'agence. Il ne sait pas qu'il a des devoirs, il est aussi irresponsable que n'importe quel agent de l'imagination.

Mais le sujet libre et responsable doit contraindre l'Etat à fonctionner "comme il se doit", comme l'ingénieur et le technicien fabriquent et utilisent une machine, sous la forme de règles pour un jeu, la forme contractuelle. L'agent politique, que nous sommes tous, est responsable de s'assurer que la structure fonctionne selon sa téléologie : de la même façon qu'un individu qui n'a pas d'objectif est certain de ne jamais atteindre ses buts, aucun Etat ne peut se comporter comme il se doit s'il n'est pas administré et contrôlé par des citoyens qui partagent une vision de l'avenir. Le devoir de l'Etat étant celui que les humains se fixent à eux-mêmes, il reste du devoir de chacun de s'assurer qu'il accomplit le sien sans faillir.

Ce que l'État nous doit, ce n'est ni plus ni moins que ce qu'on se doit à soi-même et qui consiste essentiellement à faire ce que l'on doit faire. Si chacun faisait toujours ce qu'il doit faire, plutôt que ce qu'il désire, l'État ne cesserait jamais de permettre de réaliser les devoirs que les citoyens lui ont fixé.

Le danger de la conscience intuitive est que cette dernière a tendance à personnifier les institutions, comme un reste d'animisme, et qu'elle projette dans la chose ce qui appartient à la personne et perd en contrôle du réel ce qu'elle gagne en imagination. Et que les psychologues appellent le transfert du "LOC interne" vers le "LOC externe". Si bien qu'à la fin, il n'est pas rare que la foule regarde l'État comme on regarde Dieu, les yeux dans le vide et le coeur plein d'espoirs, sans bien réaliser le néant humain dans l'objet fabriqué, sans non plus réaliser que cette perte de subjectité ("croire en l'État" comme à une personne, transférer son âme dans un objet de l'imagination) représente déjà un manque au devoir d'être soi, unifié, conscient et responsable, dénué d'illusions sur ce qu'être implique comme devoirs et en particulier être un agent de l'État, le citoyen d'une nation, le garant du droit.

Au final, l'État ne saurait devoir quoi que ce soit à qui que ce soit, au même moment où nombre d'entre nous manquons à nos devoirs en comptant sur l'État pour compenser.

Quel leurre ! Quelle erreur de jugement !

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Avatar de Arthur Homines

Bonjour Régis,

votre analyse repose sur une erreur, celle de vouloir contraindre l'État à "fonctionner comme il se doit" en le comparant à une machine et à un contrat que les citoyens administreraient. Mais cette vision ne tient pas compte du fait que l'État est une institution coercitive fondée sur la violence, et non sur le consentement mutuel.

Il ne s'agit pas d'un simple outil au service des citoyens, mais bien d'un monopole territorial sur l'usage de la force, financé par l'imposition, c'est-à-dire par la coercition (à moins que nous puissions ne plus payer nos impôts sans aucune conséquence ?).

Vous suggérez aussi que l'État nous doit ce que nous nous devons à nous-mêmes, mais cette affirmation repose encore sur l'ignorance de l'anatomie de l'État : de par sa nature coercitive, l'État ne peut pas être le vecteur d'un quelconque devoir moral. Vous oubliez aussi que nous sommes des individus différents aux goûts et buts subjectifs. Ce que vous vous devez n'a certainement rien à voir avec ce que je me dois.

Il ne s'agit donc pas de "réparer" ou de "contrôler" cette institution fondamentalement oppressive, mais bien de s'en défaire. C'est à cet endroit que les idées libertariennes prennent le relais, avec au coeur de celles-ci la propriété privée et les interactions volontaires.

L'État ne nous doit rien, car il ne peut rien nous devoir. C'est ainsi que je conclurais. C'est une machine née de la conquête et du sang, bâtie pour la domination. C'est pourquoi la seule réponse adéquate à lui opposer consiste à la rejeter, d'abord en idées, puis je l'espère en actes.

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Avatar de Regis Maag

Bonjour Arthur,

Merci pour votre réponse.

Comment peut-il y avoir propriété privée, qui est un concept de droit et qui suppose un Etat, sans cadastre, sans administration, sans protection de ce droit ? Comment peut-il même subsister une volonté s'il n'existe aucune construction sociale qui limite la barbarie ? Dans un espace libertarien, qu'est-ce qui m'empêche de m'emparer de votre vie et tout ce qu'elle contient ?

Avez-vous un exemple historique d'un espace construit sans Etat et qui aura pu échapper à la violence inouïe des guerres tribales ? Voulez-vous dire "absence d'Etat centralisé" ou "absence totale d'Etat" ?

Les débuts de l'holocène, qui ont nécessité d'organiser les groupes pour leur permettre de stocker les produits de l'agriculture et d'accéder à la vie moins nomade, ressemblent à des coopérations sociales de plus en plus organisées qui font apparaître l'Etat moins comme une violence que comme une façon d'organiser ces groupes géographiques : est-ce que je me trompe sur toute la ligne ?

Merci pour vos éclairages.

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Avatar de Arthur Homines

Permettez-moi de reprendre point par point.

1. La propriété privée et l'État

Vous affirmez que la propriété privée serait un concept de droit qui nécessite l'existence de l'État pour être reconnue et protégée. C’est une vision typiquement hobbesienne, qui postule que l’État est nécessaire pour éviter un état de guerre de tous contre tous. Pourtant, cette idée passe à côté de l'essentiel. La propriété privée dérive du droit naturel, lui-même dépendant de la reconnaissance entre les Hommes et de leur choix de ne pas s'agresser.

L'État ne fait que s'arroger le rôle de protecteur de la propriété, mais il est en réalité le principal violeur de ce droit. Par ses politiques fiscales, ses lois arbitraires et sa force soit disant légitime, l'État limite le droit de propriété au lieu de le protéger. Ce que l'on appelle aujourd'hui la protection étatique est en fait une forme institutionnalisée d'agression contre la liberté individuelle.

2. La violence sans État ?

Vous posez une question clé : qu'est-ce qui empêche dans un espace libertarien une personne de s'emparer de la vie et des biens d'autrui ? La réponse est simple : le marché. Dans une société sans État, la sécurité n'est pas abolie, elle est simplement libéralisée. Les individus et les communautés s'organiseraient pour protéger leurs biens et leurs vies en engageant des agences de sécurité privées, en contractant des assurances, et en faisant appel à des arbitres volontaires pour régler les différends.

3. Exemples historiques

J'aimerais souligner deux choses :

1. Oui, il existe des exemples. Par exemple, l'Islande médiévale fonctionnait pendant des siècles sans État centralisé, avec un système de droits de propriété privés et de tribunaux volontaires. La petite République de Cospaia s'est très bien débrouillée loin d'un État omniprésent. De même, la communauté acadienne est restée libre très longtemps. Article ici : https://re-possession.net/la-communaute-acadienne-histoire-dun-succes-anarcho-capitaliste/

À noter qu'il existe aussi des dizaines et des dizaines de cas de sécessions.

2. Cette question revient souvent, mais elle repose sur une fausse prémisse : celle de juger la validité d'un principe moral ou économique uniquement à travers le prisme de l'histoire. En réalité, pour évaluer la justesse d'une idée, nous devons nous appuyer avant tout sur la raison et la logique, et non sur l'argument fallacieux du "cela n'a jamais existé".

Prenons l'exemple de l'esclavage. Pendant des millénaires, l'esclavage privé était non seulement accepté, mais considéré comme une norme dans presque toutes les civilisations. Beaucoup auraient pu arguer qu'une société sans esclavage était "inimaginable" ou "utopique" parce qu'aucune société n'avait jamais fonctionné ainsi. Pourtant, grâce à l'évolution des idées et des cultures (vers davantage de droits de propriété), nous avons fini par reconnaître l'immoralité fondamentale de l'esclavage et l'avons aboli.

De la même manière, le peu d'exemples historiques de sociétés pleinement anarcho-capitalistes ne constitue en rien une preuve contre leur viabilité. Ce qui compte, c'est la cohérence des principes sous-jacents : le respect de la propriété privée, des contrats volontaires et la non-agression. Tout comme l'humanité a pu évoluer vers l'abolition de l'esclavage malgré des siècles de statu quo, nous devons être capable de questionner le maître esclavagiste public nommé État.

4. L'organisation sociale primitive

Vous oubliez un élément clé : l'État ne s'est pas juste proposé comme bon gestionnaire, mais comme un instrument de domination par des brigands qui ont monopolisé la force. La naissance de l'État n’est pas la conséquence d’une coopération volontaire, mais d’une violence organisée visant à centraliser le pouvoir et à exploiter les ressources.

L’apparition des premiers États correspond davantage à la formation de castes dirigeantes qui ont exploité la division du travail pour assujettir les masses sous leur contrôle, par la force si nécessaire.

5. L'absence d'État

Ce que prône l'anarcho-capitalisme, c'est bien l'absence totale d'État. L’État, qu’il soit minimal ou omniprésent, reste toujours un monopole coercitif sur la violence. Dans un cadre libertarien, chaque individu est responsable de ses actions et de sa sécurité, tout en ayant la possibilité de déléguer cette protection à des agences volontaires, compétitives et soumises au marché.

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Avatar de Regis Maag

Ok, je viens de découvrir l'anarcapie, synonyme d'intégrisme capitaliste, si j'ai bien compris malgré les déficiences mentales épouvantables qui ont pu être relevées ici.

Cela répond à ma question sur la propriété privée, la sécurité et l'absence d'État central. Je n'ai plus du tout l'âge des utopies flamboyantes, mais si c'est de votre âge et de votre condition, je vous souhaite une excellente exploration conceptuelle.

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