Introduction
Plongeons au cœur d'un nouveau concept fascinant : la subjectivité de la valeur. Au XIXème siècle, c’est l’économiste Carl Menger qui est le premier à proposer une approche révolutionnaire de la valeur en affirmant qu’elle n'est pas inhérente aux biens ou services eux-mêmes, mais bien le résultat de notre perception individuelle. Nous allons donc explorer cette idée de la subjectivité de la valeur à travers cet article, comprendre ses implications et soulever sa pertinence dans notre société actuelle.
1. Fondements théoriques
L'exemple du verre d'eau
Imaginez-vous perdu dans le désert, sous un soleil de plomb, pris d’une soif terrible. Dans ce contexte, un simple verre d'eau représente bien plus qu'une simple boisson : c'est une bouée de sauvetage, un bien d'une valeur inestimable. Pourquoi ? Parce que dans votre situation, l'eau répond à un besoin fondamental et urgent : la survie. Votre perception de sa valeur est donc extrêmement élevée.
Inversement, si vous vous trouvez tranquillement chez vous, avec l’eau potable à disposition, un verre d'eau n’aura guère de valeur pour vous, compte-tenu de votre situation, du moins dans une perspective de survie (on peut imaginer d’autres usages pour l’eau). Disons que vos besoins immédiats en matière d'hydratation sont probablement satisfaits. Ici, le même verre d'eau, bien qu'identique en tous points au premier, est perçu comme ayant beaucoup moins de valeur, car votre contexte et votre utilité subjective sont différents.
Contraste avec la théorie de la valeur-travail
Cette différence radicale de perception de la valeur d'un même objet illustre le contraste frappant entre la vision autrichienne et la théorie de la valeur-travail, qui a dominé une grande partie de la pensée économique avant et même après l'émergence de l'école autrichienne.
Selon la théorie de la valeur-travail, principalement associée à des figures comme Karl Marx, la valeur d'un bien est déterminée par la quantité de travail nécessaire à sa production. Ainsi, indépendamment de la situation de l'individu, la valeur de ce verre d'eau serait constant, reflétant l'effort déployé pour le produire ou l'acquérir.
La perspective de Carl Menger
Carl Menger a remis en question cette approche en mettant l'accent sur l'utilité subjective. Ainsi, la valeur n'est pas une propriété intrinsèque des biens ou des services, mais plutôt une évaluation que chaque individu fait en fonction de ses propres besoins et désirs. Cette évaluation est dynamique et varie considérablement d'une personne à l'autre, et même pour une même personne dans différents contextes ou moments.
Cette vision de la valeur comme une appréciation subjective ouvre une nouvelle dimension dans la compréhension des phénomènes économiques. La valeur est absolument subjective parce que manifestée à l’échange, jamais avant. Elle n’est pas générée magiquement avant ou pendant la production.
C’est d’ailleurs pour cela que l’entrepreneur est preneur de risques en société : il ne sait jamais avec certitude s’il parviendra à générer de la valeur pour autrui. D’ailleurs, s’il suffisait de travailler pour créer de la valeur, toutes les entreprises laborieuses seraient couronnées de succès, non ? Or, on voit bien que ce n’est pas le cas et que la faillite est une réalité du monde économique.
2. Implications économiques
Le marché de l'art comme exemple
Le marché de l'art offre un terrain fertile pour explorer la subjectivité de la valeur. Nous y observons régulièrement des œuvres apparemment similaires en termes d’aspect, de technique et de matériaux. Pourtant, elles peuvent connaître des destins économiques très différents. Une toile peut être vendue pour des sommes astronomiques tandis qu'une autre qui lui ressemble pourrait rester sans acquéreur. Ce phénomène s'explique par la subjectivité de la valeur : chaque collectionneur ou amateur d'art évalue une œuvre selon un ensemble complexe de critères personnels.
Ces critères peuvent inclure des considérations esthétiques pures, comme la beauté perçue ou le style artistique, mais aussi des aspects émotionnels qui nous échappent, tels que la manière dont une œuvre résonne avec l'expérience personnelle de l'acheteur. En outre, des facteurs spéculatifs entrent souvent en jeu, avec des acheteurs anticipant des changements dans la perception de la valeur d'un artiste ou d'une œuvre spécifique au fil du temps. La décision d'acheter une œuvre d'art, et le prix qu'un individu est prêt à payer pour elle est le résultat d'une évaluation subjective.
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Implications économiques générales
Ce phénomène de subjectivité de la valeur ne se limite pas au marché de l'art. Il est omniprésent dans tous les aspects de l'économie, influençant la formation des prix et les décisions d'achat dans des domaines aussi variés que l'immobilier, les biens de consommation courants ou les services du tertiaire.
Prenez, par exemple, le marché immobilier. Deux maisons, apparemment similaires en termes de taille, d'emplacement et de caractéristiques, peuvent se vendre à des prix très différents. Ces différences peuvent être attribuées à des facteurs subjectifs tels que le charme personnel d'une maison, les souvenirs qu'elle évoque chez l'acheteur potentiel qui lui font refuser de vendre en dessous d’un certain prix ou même des considérations spéculatives sur l'évolution future du quartier.
Dans les biens de consommation plus courants, la subjectivité de la valeur explique pourquoi certains consommateurs sont prêts à payer certains produits plus chers, pourquoi ils valorisent des marques spécifiques, perçues comme étant de meilleure qualité, plus durables, ou simplement plus en phase avec eux-mêmes. Cette perception influence la manière dont les prix se forment sur les marchés, car elle reflète les préférences et les évaluations individuelles des consommateurs, qui sont elles-mêmes en constante évolution.
Dynamisme et adaptabilité des marchés
Les économistes autrichiens soulignent que c'est précisément cette subjectivité qui confère aux marchés leur dynamisme et leur capacité d'adaptation. Les marchés ne sont pas des entités statiques, mais des écosystèmes vivants qui reflètent et intègrent en continu les changements dans les préférences, les besoins et les circonstances des individus. Par la subjectivité de la valeur et la formation de prix libres, les entrepreneurs peuvent répondre efficacement à la diversité des évaluations humaines et rendre possible la coordination des actions économiques à travers la société.
3. Critiques et réponses
Les critiques de la subjectivité de la valeur
Une critique majeure adressée à l'approche autrichienne concerne sa focalisation sur l'individu, au risque, selon certains, d'ignorer les dimensions collectives qui façonnent l'économie. Certains observateurs avancent que la vision autrichienne sous-estime la notion de structure sociale, ne se concentre pas sur les inégalités économiques ou sur les considérations environnementales.
Ainsi, sur les inégalités économiques, les critiques soutiennent que la subjectivité de la valeur ne prend pas en compte le fait que les perceptions individuelles de la valeur sont fortement influencées par le contexte socio-économique. Une personne issue d'un milieu dit aisé peut percevoir la valeur d'un bien de luxe d'une manière radicalement différente de celle d'une personne issue d'un milieu moins favorisé, non seulement en raison de différences de préférences, mais aussi en raison de différences dans les possibilités d'accès et d'achat.
Concernant l'impact environnemental, les critiques argumentent que la focalisation sur les choix individuels peut mener à négliger les conséquences collectives de ces choix, comme la surconsommation de ressources naturelles ou la pollution. Ils avancent que certaines décisions économiques, bien que bénéfiques ou rationnelles du point de vue de l'individu, peuvent avoir des répercussions négatives sur l'environnement et la société dans son ensemble.
Réponse des économistes autrichiens
Sur les inégalités économiques
Il est vrai qu’un économiste autrichien n’a pas à exiger de politiques pour “réduire les inégalités économiques”. Son rôle est celui d’un observateur des phénomènes sociaux. Mais allons un cran plus loin : certes, les inégalités économiques ne sont pas notre sujet en soi, mais notons qu’elles auraient moins de chances d’être si fortes dans une société plus libre. Il n’y aurait probablement pas ou peu de milliardaires mais pas ou peu de pauvres non plus dans une telle société. Pourquoi ? Parce que l’État ne serait là ni pour nous entraver, ni pour nous voler, et encore moins pour faire du copinage avec certaines entreprises.
Par ailleurs, il faut aborder la question des inégalités économiques en soulignant l'importance de la liberté individuelle et du choix dans le fonctionnement des marchés. Les différences dans les perceptions de la valeur reflètent la diversité des préférences et des besoins individuels, une diversité qui est une caractéristique inévitable d'une société libre. Toute tentative de normaliser ou d'homogénéiser ces perceptions, par le biais d'interventions étatiques mènerait à une allocation moins efficiente des ressources et, finalement à une réduction de la prospérité générale.
Insistons aussi sur le rôle de la propriété privée et des échanges volontaires comme moyens d'améliorer le niveau de vie dans la société. Les inégalités économiques sont le résultat de différences de choix individuels, de gains de productivité générés, de capital accumulé et de prise de risque. Les tentatives de les corriger par la contrainte étatique ne font qu'entraver l'efficacité du marché, ce qui condamnera aussi les élément les moins productifs, profitant jusque-là de la richesse générée par d’autres.
Réponse sur l'impact environnemental
Concernant le versant écologique, il faut bien voir que le volet économique seul ne permet pas de donner de réponse, il faut aussi s’intéresser au droit. Ce qu’on appelle communément '“externalités négatives” est en réalité un faux problème qui devrait se régler par la négociation entre propriétaires. La solution réside toujours dans une définition et une protection stricte des droits de propriété.
Dans un cadre où les droits de propriété sont clairement définis et respectés, les individus ont à la fois l'incitation et la capacité de négocier des solutions mutuellement avantageuses aux problèmes écologiques. Si je porte atteinte à la propriété d’autrui par mon action, la seule meilleure manière légitime de régler ce conflit n'est pas l’arbitraire de l’État mais bien l’application rigoureuse des droits de propriété. Qu’on parle d’un dommage de type écologique ou pas ne change strictement rien à la nature du droit et à son application.
Conclusion
En résumé, la notion de subjectivité nous rappelle qu’il faut un échange pour que la valeur puisse émerger, et que derrière chaque transaction, chaque décision de prix, il y a des individus avec des désirs, des besoins et des perspectives différentes.
La valeur subjective a des implications dans notre quotidien et dans la formation des prix, sans même que nous nous en rendions compte. Loin d’être problématique pour l’économie ou pour quelques enjeux que ce soit, elle ne fait que décrire notre réalité, loin de l’idéologie et des opinions politiques.