Comprendre l'inflation, la déflation et la récession
Une histoire de quantité
Introduction
Dans une économie de marché, où la monnaie joue un rôle central dans les échanges, les manipulations de cette dernière peuvent avoir des conséquences profondes. L'inflation et la déflation, deux phénomènes opposés mais intimement liés, sont au cœur des préoccupations des économistes autrichiens, qui les analysent à travers le prisme de leur théorie monétaire.
1. L'inflation
L'inflation est définie comme une augmentation de la quantité de monnaie en circulation qui n'est pas soutenue par une augmentation correspondante des biens et services dans l'économie. C'est une perspective qui diffère des définitions plus conventionnelles de l'inflation, qui la voient simplement comme une hausse générale des prix.
Dans son œuvre, Murray Rothbard insiste sur le fait que l'inflation est intrinsèquement liée à la manipulation de la masse monétaire, en particulier par les banques centrales et les systèmes bancaires pratiquant la réserve fractionnaire. Il argumente que cette création de monnaie "ex nihilo" (à partir de rien) est la véritable cause de l'inflation, et que l'augmentation des prix est en fait un symptôme ou une conséquence de cette expansion monétaire.
Murray Rothbard, tout comme Ludwig Von Mises, voit l'inflation non seulement comme un processus monétaire mais aussi comme un phénomène qui a des implications économiques, sociales et morales très profondes. Il critique l'inflation pour ses effets de redistribution de la richesse, favorisant certains groupes (comme les premiers récipiendaires de la nouvelle monnaie) au détriment d'autres (comme les épargnants et les consommateurs finaux qui font face à une érosion de leur pouvoir d'achat).
En somme, l'inflation est avant tout une expansion de la masse monétaire menée par les politiques étatiques et bancaires, qui entraîne une diminution de la valeur de la monnaie et participe à l’augmentation des prix dans l'économie. Par ailleurs, l'inflation entraîne des distorsions dans les structures de production, favorisant les investissements non viables à long terme, ce que Ludwig Von Mises désigne sous le terme de "malinvestissements".
Rothbard critiquait d’ailleurs les politiques monétaires expansionnistes comme des ingérences dangereuses dans les mécanismes naturels du marché. En augmentant la quantité de monnaie en circulation sans une augmentation correspondante des biens et services, ces politiques diluent la valeur de la monnaie. Cette dilution entraîne une érosion du pouvoir d'achat des individus, les rendant ainsi plus pauvres.
De même, la manipulation des taux d'intérêt est une catastrophe, puisque s’acharner à les maintenir à des niveaux artificiellement bas perturbe l’économie. Les taux d'intérêt jouent un rôle crucial dans l'économie en régulant l'épargne et l'investissement. Lorsque les taux sont maintenus artificiellement bas, cela encourage un emprunt excessif et des investissements dans des projets qui ne seraient pas viables dans un environnement de taux d'intérêt librement déterminé par le marché.
Murray Rothbard souligne que, bien que ces politiques puissent sembler séduisantes à court terme en promettant une croissance et une stabilité économique, elles sèment en réalité les graines de déséquilibres futurs. Ces déséquilibres se manifestent sous forme de cycles économiques, caractérisés par des périodes d'expansion artificielle suivies de corrections douloureuses.
2. La déflation
Sous le prisme de l’école autrichienne, la déflation est reconsidérée et réévaluée au-delà des connotations négatives habituellement associées par la pensée économique dominante. Contrairement à la tendance générale qui consiste à combattre la déflation, nous la percevons comme un mécanisme sain qui aura notamment pour conséquence visible la baisse générale des prix, résultant soit d'une diminution de la masse monétaire en circulation, soit d'une augmentation de la demande de monnaie.
“Il n’est pas nécessaire de créer de la monnaie et il ne faut pas avoir peur de la déflation. En effet, si nous imaginons une situation dans laquelle la quantité de monnaie reste constante, il y a des baisses de prix dans les secteurs où le progrès technique est le plus rapide.”
Pascal Salin
Ce phénomène, loin d'être préjudiciable, est bénéfique pour l'économie à plusieurs égards. Premièrement, il augmente le pouvoir d'achat des consommateurs, chaque unité de monnaie ayant plus de valeur et permettant l'acquisition de plus de biens et de services. Deuxièmement, la baisse des prix incite à l'épargne, car la valeur réelle de l'épargne augmente, favorisant ainsi l'accumulation de capital qui est essentiel pour les investissements productifs et la croissance économique à long terme.
Les choses deviennent très intéressantes quand on se rend compte que la société libre serait en réalité naturellement déflationniste. Il y a plusieurs raisons à cela, et il faut sans doute commencer par le progrès économique et la productivité. Ces facteurs allant à la hausse, ils entraîneraient une baisse continue des coûts de production et donc des prix, contribuant à la déflation. Les entrepreneurs pourraient aussi produire davantage avec moins de ressources et des coûts plus faibles.
Par ailleurs, l’absence de banques centrales rendrait impossible toute logique de politique monétaire expansionniste, ce qui limiterait la masse monétaire. Sans une augmentation de la quantité de monnaie en circulation, la tendance naturelle pourrait être à la stabilité des prix et même à la déflation dans les secteurs bénéficiant d’un fort progrès économique.
Avec une forte valeur placée dans la propriété privée et le capital, les individus et les entreprises pourraient privilégier l'épargne et l'investissement à long terme. La préférence temporelle ainsi diminuée (préférence pour l’avenir) augmenterait la valeur réelle de l'argent au fil du temps, contribuant à une pression déflationniste.
En effet, lorsque les agents économiques préfèrent épargner plutôt que dépenser, cela signifie qu'il y a moins de demande immédiate pour les biens et services, contribuant à une baisse des prix. En outre, comme l'argent est moins dépensé pour la consommation immédiate, la valeur de l'argent économisé ou investi augmente au fil du temps, à la fois en termes de pouvoir d'achat et de potentiel de croissance grâce à l'investissement.
Aussi, en l'absence d'une monnaie étatique obligatoire, la monnaie du monde libre serait sans aucun doute basée sur des actifs à offre limitée comme l'or, ce qui contribuerait aussi à produire un environnement déflationniste, car la quantité de monnaie ne pourrait pas s'étendre à l’infini comme c’est le cas aujourd’hui. Il faut absolument que la masse monétaire reste stable, sous peine de ralentir tous les marchés.
Enfin, sans les filets de sécurité et les mécanismes de sauvetage typiques de l’État, les entités économiques seraient bien plus prudentes quant à l'accumulation de leurs dettes, ce qui réduirait la quantité de monnaie induite par le crédit, un autre facteur qui pourrait soutenir une tendance déflationniste. Cela fait déjà un beau panel d’arguments en faveur d’une société pro-déflation !
3. La récession
Les récessions sont le résultat d'une mauvaise allocation des ressources durant les périodes d'expansion économique artificiellement stimulée par le crédit facile et les taux d'intérêt bas. La récession agit comme une correction nécessaire qui permet de réajuster les structures de production afin de les réaligner sur les préférences réelles des consommateurs et la disponibilité des ressources économiques.
C’est lors de cette phase parfois douloureuse que se révèle les investissements manqués à cause d’un environnement de marché faussement favorable induit par les banques et les États (“malinvestissements”). L'école autrichienne voit les récessions comme des périodes où l'économie se réajuste et corrige ces malinvestissements. Les récessions révèlent les fragilités économiques accumulées et forcent les acteurs du marché à réévaluer leurs choix d'investissement, menant à la liquidation des projets les moins viables.
Les autrichiens critiquent vivement les tentatives de prévenir ou de minimiser les récessions par des interventions étatiques et des politiques monétaires expansionnistes, qu’il s’agisse d’injections de liquidités ou de baisses de taux d'intérêt. Ces interventions ne font que perpétuer les déséquilibres du marché et retarder les ajustements nécessaires. En maintenant artificiellement en vie des entreprises et des projets non viables, ces politiques empêchent l'allocation efficace des ressources et peuvent conduire à une accumulation encore plus grande de malinvestissements, exacerbant ainsi l'ampleur et la durée des ajustements futurs nécessaires.
En différant les ajustements indispensables, les politiques interventionnistes rendent les cycles économiques plus volatils et imprévisibles. Chaque cycle d'expansion monétaire suivi d'une récession retardée par des interventions crée des distorsions plus importantes dans l'économie, rendant les récessions futures potentiellement plus sévères et plus difficiles à gérer. Cela crée un environnement d'incertitude pour les entrepreneurs et investisseurs, nuisant à la santé économique à long terme.
Conclusion
L'analyse des autrichiens sur l'inflation, la déflation et la récession est unique en son genre. Ils perçoivent l’inflation comme un phénomène produit volontairement par les interventions étatiques. De l’autre côté, la déflation sera perçue comme la conséquence même d’un marché libre. Enfin, la récession est une conséquence de l’inflation artificielle de l'offre de monnaie, révélant les malinvetissements et forçant les entrepreneurs au réajustement.